Projet Ecritures numériques

Le prologue du livre collectif

Par PASCAL BOUE, publié le mercredi 20 février 2019 15:34 - Mis à jour le mercredi 20 février 2019 15:39

Prologue ou début du livre rédigé par l’écrivain Hervé Jubert

 

Les quatre tours de la Très Grande Bibliothèque qui se dressaient en bord de Seine m'avaient toujours fait penser à une table renversée par un Titan. Je préférais l'ancien site, la vieille Bibliothèque Nationale avec ses salles de lecture du XIXe siècle. Mais la modernité avait rattrapé le livre. Désormais, ils étaient conservés dans ce coffre-fort géant et acheminés par des navettes automatiques jusqu'aux lecteurs dans des espaces au taux d'humidité constant et aux éclairages tamisés.

Je descendis le tapis roulant, entrai dans l'édifice, déposai mes affaires aux vestiaires, ne gardais que de quoi écrire et ma carte de lecteur. Avant de passer les bornes d'accès, je me rendis aux toilettes et m'aspergeais le visage. Je me contemplais dans la glace. J'étais à la fois fatigué(e)* et excité par ce qui m'attendait trente mètres plus bas  : le document correspondant à la cote Ae-38, tiré de l'Enfer. J'avais enfin obtenu l'autorisation de le consulter après des mois de négociations avec ceux qui en avaient la garde.

Ae-38. Deux lettres et deux numéros qui allaient peut-être changer ma vie. Du moins, m'aider à la comprendre.

Je sortis des sanitaires, plaquais ma carte de chercheur sur la borne de contrôle, pénétrais dans le Saint des Saints. Un nouvel escalator, vertigineux celui-là, me fit lentement descendre dans les fondations. La moquette, rouge feu, et les parois de béton d'un gris sombre comme une cheminée de volcan donnaient effectivement l'impression de se rendre dans le royaume d'En Bas.

Nouveau contrôle. La lumière sur le haut du portique vira au vert. Je poussais la porte métallique et me retrouvais... dans un jardin. Un parc invisible depuis les quais avait été planté entre les quatre tours. La lumière tombait à flots dans le corridor qui reliait les entrées est et ouest. Je le remontais sur la moitié de sa longueur, croisant des lecteurs conversant à voix basse ou plongés dans leurs pensées.

Salle de recherches. Documents précieux. J'y étais.

Un homme mince, blafard, aux pommettes saillantes, on aurait presque pu dessiner son crâne, m'attendait derrière le comptoir. Il prit ma carte, la mit de côté, alla chercher un carton dans une étagère. Pas très lourd le carton, de la taille d'une boîte à chapeaux et fermé par une lanière de tissu blanc. L'homme me fournit une paire de gants que j'enfilais, et m'attribua un numéro de place à l'écart.

J'étais seul. J'inspirais profondément, défis la lanière et ouvris la boîte.